lundi 12 mai 2014

Bien choisir son excuse bidon

 
Trouver une excuse qui tienne la route pour se décommander au dernier moment d'une soirée, c'est tout un art.
 
Il faut d'abord réussir à mettre au point un bobard de qualité susceptible de justifier votre désistement impromptu aux yeux de votre interlocuteur.
 
Quelque chose qui ne soit pas trop gros.
 
On laissera de côté la mort de sa grand mère (trop courant pour être honnête), la visite du frère jumeau dont on ignorait jusque là l'existence (trop exigeant pour être tenable), le séjour à la maternité à la suite de la naissance surprise de son enfant (trop soudain pour être crédible).
 
Mais il ne faut pas viser trop bas non plus.
 
On oubliera le chien qui a mangé sa copie (potentiellement efficace mais hors sujet), la séance de dédicace du dernier livre de Marc Levy au rayon maquillage de son Monoprix (contraire à la dignité humaine), la foulure du petit doigt (inadéquat).
 
En fait, dans la quête de l'excuse bidon idéale, il faut avant tout garder bien présent à l'esprit que la personne à qui vous envisagez de faire faux-bond, même si elle est infiniment moins brillante que vous, n'est pas nécessairement dotée d'un QI traduisant chez elle un handicap intellectuel sérieux (moins de 25 points).
 
Et que, si vous vous donnez la peine de lui fournir une excuse bidon plutôt que de lui dire bien franchement que vous n'avez finalement plus envie d'aller chez elle / que vous préférez faire autre chose, c'est que vous cherchez finalement plus ou moins à ménager sa susceptibilité dans ce que cette vérité peut avoir de légèrement contrariant pour elle.
 
Alors, autant le faire bien comme il faut jusqu'au bout, en ne lui laissant pas penser que non seulement on se fiche d'elle en se décommandant à la dernière minute, mais qu'en plus on la prend pour un débile profond en lui racontant un gros mytho.
 
Le mieux est donc de viser une excuse bidon moyenne gamme, invérifiable par son interlocuteur, quand bien même il aurait des doutes sur sa véracité.
 
La gastro-entérite de dernière minute, le vol de ses papiers dans l'heure qui précède la réception, la voiture qui ne démarre pas pour s'y rendre, restent des valeurs sûres.
 
Certes, votre hôte en est quitte pour déguster seul le dîner qu'il avait spécialement concocté à votre intention, mais il peut y procéder dignement, sans forcément avoir l'impression que votre lapin fait de lui le dindon de la farce.
 
Si vous parvenez en plus à adopter un ton à peu près naturel (on évite la surenchère de points d'exclamation et de suspension, on reste sobre dans l'expression de sa douleur), et à ancrer votre bobard dans un ou deux éléments concrets ("je te laisse, ma bassine m'appelle" / "comme un malheur n'arrive jamais seul, le policier qui prend ma déposition a flashé sur moi, il me propose un resto le we prochain, au secours !!!" / "tu crois que ça peut venir du calculateur d'injection ?"), alors bravo, vous pouvez vous vanter d'exceller dans un art dont près de 99,99 % des gens ne maîtrisent pas même le commencement.
 
Et parmi eux, mon amie Zo.
 
Nous devions nous retrouver jeudi dernier, comme prévu depuis une dizaine de jours, avec elle et son fiancé JK.
 
Comme je suis une fille organisée (en tout cas j'essaye), le lundi, j'avais réfléchi au menu que j'allais préparer, le mardi, j'étais allée faire les courses nécessaires, et le mercredi midi, je commençais à préparer le repas.
 
Et c'est justement ce mercredi, peu après midi, à 15h09 très précisément, que, coup de théâtre, je reçois un texto de Zo :
 
« Ginger, catastrophe ! Nous partons demain chez une pote de JK en we last minute me dit-il pensant que c'était ce soir notre dîner ! Du coup on va devoir décaler notre petite sauterie et je suis fortement navrée que tu pâtisses du manque d'écoute dans notre couple ! ».
 
A la lecture de ce message, je n'ai pas pensé à la soirée qui était plantée ni à mon dîner qui allait me rester sur les bras.
 
Non, je suis bien au-dessus de tout ça, comprenez-moi.
 
J'ai certes un peu d'amour-propre, mais je le place infiniment plus haut que le niveau auquel se trouvent coincés la plupart de mes semblables. 
 
Non, ce qui m'est venu immédiatement à l'esprit, comme un cri perçant jailli de mon cerveau dans un éclair de lumière, c'est Mon Dieu, mais quelle excuse bidon bas de gamme !!!
 
De celles qui vous rendent presque honteux pour leur auteur, tant elle reflète une incompréhension crasse de l'art du mythonage.
 
Bien sûr, je me suis abstenue de lui indiquer en réponse les nombreuses insuffisances de son texto (je me suis d'ailleurs carrément abstenue de toute réponse) : mes amis n'ont pas forcément un amour-propre situé à un niveau aussi élevé que le mien, et comme je tiens parfois, pour diverses raisons, à les garder dans mes contacts (Zo travaille chez YSL, ça reste potentiellement intéressant), je préfère les ménager un peu. 
 
Mais à vous, je peux dresser l'exégèse des maladresses qui ont définitivement planté son excuse bidon (dans une optique strictement pédagogique bien sûr).
 
- 1er point faible : JK qui impose autoritairement à sa dulcinée de partir en "we last minute chez une pote", façon gros-macho-back-from-the-Moyen-Age (et oui, il y avait déjà des "we last minute" à l'époque).
 
Ca ne colle tout simplement pas le moins du monde avec le mode de fonctionnement du couple somme toute assez classique qu'il forme avec Zo, dans lequel, si jamais une personne décide de quelque chose sans consulter l'autre, je suis prête à parier les 16 compartiments de mon étagère Expedit qu'il s'agit de Zo.
 
Bref, une approche psychologique en contradiction totale avec la personnalité des protagonistes, et ça, ça suffit déjà à vous mettre très sérieusement la puce à l'oreille...
 
- 2e point faible : l'impossibilité apparemment absolue de remédier à l'erreur commise par JK (« du coup, on va devoir décaler »), alors que dans le pire des cas, après une bonne crise de Zo (« Quoi ??! Mais la soirée chez Ginger ?!! Ce n'est quand même pas faute de t'avoir rappelé 15 fois qu'elle avait lieu jeudi !! »), il pouvait toujours prendre son téléphone, appeler sa "pote" et lui expliquer que « désolé, mais j'ai complètement zappé une soirée chez Ginger qui nous retient sur Paris jeudi, une fille trop méga génial top que même ton we last minute à Belle Ile, à côté, c'est de la sardine en boîte ».
 
Le motif de désistement ne tient juste pas du tout la route, et c'est bien dommage parce que, dans ces cas là, le destinataire du texto qui a bloqué sa soirée pour rien et entamé des préparatifs en pure perte, a, lui, en règle générale, un sens logique à toute épreuve...
 
- 3e point faible : le ton pas du tout naturel : trop de points d'exclamation et une recherche excessive de style qui trahit une absence totale de spontanéité dans la rédaction du texto (même la plus embryonnaire).
 
Vous avez l'impression qu'on l'a tellement bossé, ce texto, que même dépourvu de toute allusion relative à un désistement/posage de lapin, il vous aurait paru louche au point de devoir être signalé sans délai au commissariat le plus proche.
 
Moralité ?
 
Bidonnage à retravailler de toute urgence.
 
Ne retenter le coup que lorsqu'on est vraiment prêt.
 
Marc-Levy-.jpg
Marc Levy au rayon maquillage du Monoprix,
une excuse qui passe mal en société...

7 commentaires:

  1. "Bien choisir ses invités pas bidons" fera-t-il l'objet d'un autre texte ?

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  2. Merci pour ce cours. Dorénavant, je n'annulerai plus de la même façon... et je pourrais accepter toutes les invitations !

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  3. Je compatis pleinement. Ceci dit, ce joli lapin nous valant un très bon article de Ginger qui m'a bien fait rire, je me demande si je regrette tant que ça le comportement de Zo...

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  4. C'est sûr qu'il a l'air d'avoir bon dos le Jean Kevin...

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  5. Cet article appelle une suite : "comment éviter de se faire poser des lapins par des opportunistes nuls en excuses bidons ?"

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  6. En quoi le fait que Zo travaille chez Yvette sur Laurent peut être si intéressant ; au point de renoncer à lui dire ouvertement ce que tu as sur le cœur !? Marc Lévy, je voyais ça plutôt au rayon papiers toilettes.

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  7. Merci ma chère Pupu ! Et effectivement, l'absence de coup de fil est assez révélateur...  Le rayon vins et alcools, je valide pleinement aussi ! 

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