mardi 6 mai 2014

Génération sacrifiée, le retour

 
Il n'y a pas si longtemps, je vous avais parlé de mon filleul de 6 ans.
 
Oui, celui qui, avec ses légos, au lieu de construire de jolies maisons colorées avec cheminée en briques et fleurs aux fenêtres, s'était lancé dans une surprenante réalisation mêlant tout un amas de tuyaux et d'engrenages au milieu desquels l'homme-légo faisait tristement figure de playmobil dans un évier.
 
Usant de mes capacités d'analyse hors normes, j'avais vite compris que derrière toute l'anarchie de cette oeuvre, se dissimulait en réalité le profond malaise d'un enfant de grande section de maternelle, face à une société sans avenir, tout juste bonne à lui attribuer un numéro de sécurité sociale et vas-y-débrouille-toi-mon-gars (chômage, divorce, déclarations fiscales, stations vélib vides, j'en passe et des meilleures...). 
 
Si je vous faisais part, alors, de ma vive inquiétude quant à l'équilibre psychologique de cette classe d'âge, j'ignorais encore l'étendue du problème. 
 
Car ce ne sont pas seulement les enfants de grande section qui sont concernés par ce phénomène. 
 
Cela commence en fait bien plus tôt. 
 
Au moins dès la petite section. 
 
Mon neveu de 4 ans tout juste m'a présenté ce week-end son dernier dessin. 
 
Une sorte de triptyque biscornu et monochrome, représentant... 
 
… non, pas une maison avec cheminée en briques et fleurs aux fenêtres.
 
… mais, oui, un échafaudage.

 
Un échafaudage parfaitement étouffant, enfermant, je dirais même claustrophobant.
 
Un échafaudage qui avale les hommes dans un dédale d'armatures rectilignes, tant verticales qu'horizontales (pas de jaloux), au sein desquelles ils se trouvent condamnés à percer des trous pour l'éternité (du moins jusqu'à leur mort).




Comme si quelqu'un les avait séquestrés là, leur avait remis une perceuse entre les mains, et leur avait donné l'ordre de percer, percer, percer, percer et encore percer, en les avertissant que si jamais ils s'arrêtent, la micro-bombe qui leur a été implantée au niveau de l'hypophyse pendant leur sommeil explosera. 
 
C'est sans doute dû à la tension nerveuse créée chez chacun de ces personnages par une telle situation, mais, je ne sais pas si vous avez remarqué, ils ne communiquent pas du tout les uns avec les autres. 
 
Chacun se trouve dans son coin, occupé à percer sans relâche, sans même paraître se rendre compte qu'il n'est pas seul à percer. 
 
Pas de soleil à l'horizon, du fer partout et des tas de petits trous dans le fer. 
 
Quand mon neveu m'a montré ce dessin, je l'ai regardé et j'ai compris qu'à son jeune âge, il savait déjà. 
 
Il savait déjà pour cette grande prison qu'est le monde, pour ces gens qui gravitent autour de nous et qui ne sont que des étrangers, pour ce lot de devoirs et d'obligations qui nous retiennent indéfiniment captifs.
 
J'ai compris que les aventures de Bob l'éponge et les albums de Babar, c'était déjà du passé. 
 
Que les étoiles scintillantes et les happy-ends appartenaient à un temps révolu. 
 
Que dorénavant, il n'y aurait plus que des récits bien noirâtres et boueux du style Sartre, Camus, Zola, Céline, pourquoi pas Maupassant aussi, qui pourraient lui évoquer quelque chose. 
 
Enfin, je m'avance peut-être un peu sur ce dernier point...
 
Nous n'en sommes sans doute pas encore tout à fait là.
 
Après tout, mon neveu n'a que 4 ans et, à ma connaissance, il ne lit pas encore de livres sans images !

6 commentaires:

  1. Tes neveux sont exceptionnels : d'une grande intelligence, très perspicaces, doués en tout, et avec un sens architectural particulièrement développé. Suis-les de près, ils méritent toute ton attention !

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  2. J'ai une solution : fais lui ton crumble. Non remboursé par la CPAM, mais plus efficace que Kafka pour remonter le moral.

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  3. C’est juste grandiose, ce triptyque est tout simplement génial ! Digne d’un symboliste hollandais ou bien encore d’un déconstructiviste du Bauhaus. Ton interprétation est formidable et tu peux sûrement déjà postuler auprès de ta sœur pour avoir le droit d’écrire ses futures monographies. Par contre, il me semble que tu oublies un peu vite que la maman de Babar a été tuée par un chasseur et qu’il quitte la jungle pour fonder Célesteville où chacun construit sa maison selon sa fantaisie. Maintenant, tu sais juste quelle architecture branche ton neveu et tu ne seras pas étonnée quand dans quelques années il ira s’installer dans la pyramide du Louvre avec son éclairage rouge flashy.

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  4. J'ai toujours pensé que pour expliquer les comportements étranges des enfants il fallait se demander s'il n'y avait pas des personnes anormales parmi leurs proches. Tu les vois souvent, tes neveux ?

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  5. Je crois que tu devrais en toucher 2 mots à leur mère. J'ignore totalement la nature de vos rapports, mais il faudrait que tu la préviennes....

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  6. En plus sombre, quand même ! 

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