mardi 4 mars 2014

Famille je vous aime

 
N'allez pas croire que je sois une fille totalement évanescente, flottant dans ce monde tel un spationaute en apesanteur à des milliers d'années lumière de son satellite, libre de toute attache. 
 
Non, moi aussi, j'ai une famille. 
 
Bizarre à croire, mais je procède de deux personnes, que nous appellerons pour l'occasion mes parents, qui elles-mêmes procèdent chacune de deux autres personnes, que nous appellerons pour l'occasion leurs parents, et qui - que le monde est surprenant ! - ont eu également d'autres enfants. 
 
Parmi lesquels mon oncle Wolfgang. 
 
Un personnage à la hauteur de son prénom. 
 
Oncle Wolfgang, jusqu'à hier, je ne l'avais pas revu depuis douze longues années. 
 
En fait, depuis le mariage de ma cousine Solange, la fille de Tante Ursule, une espèce de grande perche sans (trop de) personnalité, de six ans mon aînée, qui n'avait rien trouvé de mieux à faire pendant ses vacances de ski de 1ère que de réviser assidument son bac de français (alors que c'est bien connu, on s'y met la veille, ça suffit, le champ lexical de la souffrance dans La Métamorphose, on devrait arriver à le repérer assez vite) (surtout quand le cafard géant n'arrive plus à passer la porte). 
 
Ce mariage, je m'y étais royalement ennuyée, coincée dans mes 16 ans, entre des voisins de table soit plus gamins que moi - au hasard, mon frère et mon cousin qui n'hésitaient pas à quitter l'assistance sans prévenir pour aller jouer à saute-mouton sur la terrasse - soit bien plus à la page que moi - les amis des mariés à qui il arrivait sans doute de s'éloigner de plus de 10 km de la maison familiale sans avoir à prévenir au préalable leurs parents entre 3 et 6 mois à l'avance.
 
Même ma jolie robe rouge ne m'avait pas aidée à me trouver une contenance, et inutile de vous dire que, pour Oncle Wolfgang, derrière ses lunettes de vieil universitaire ranci dont la principale préoccupation est d'essayer par tous les moyens de faire gonfler son compte bancaire, je devais être encore à classer parmi les gamines insignifiantes à qui l'on ne prête pas plus d'attention qu'à la guichetière du péage d'autoroute en plein embouteillage estival bizon futé. 
 
Mais ne croyez pas que je vais m'en plaindre, non, surtout pas !
 
Parce que figurez-vous que douze ans plus tard, ma robe rouge troquée contre une robe noire, une profession en poche et une allure un peu plus "grand fille" (même si tout est relatif), j'ai réalisé que je préférais encore le temps où Oncle Wolfgang semblait ignorer jusqu'à mon existence. 
 
Cela m'épargnait au moins la peine d'être prise à témoin de ses hauts faits. 
 
Tout s'est passé très vite lorsque nous nous sommes revus le week-end dernier...
 
- Ginger, ne le prends pas mal mais je ne t'avais pas reconnue ! a commencé Oncle Wolfgang lorsqu'il s'est rendu compte, trois heures après être arrivé et alors que je m'étais présentée, que, si, si, j'étais bien quelqu'un de la famille. 
 
- C'est normal Oncle Wolfgang, il s'est quand même un peu passé douze ans depuis la dernière fois où nous nous sommes vus, lui ai-je courtoisement répondu (j'étais déjà heureuse de constater qu'il avait retenu mon prénom).
 
- Et alors, raconte-moi un peu ce que tu deviens ! Ton métier te plaît, tu es contente du quartier où tu habites ? a-t-il poursuivi du ton le plus affable du monde. 
 
A ce stade, je me suis dit intérieurement tiens, c'est fou, Oncle Wolfgang a presque l'air sympathique...
 
Un horrible soupçon est alors venu assaillir mon esprit : est-ce qu'en fait je l'aurais jugé de façon radicalement injuste toutes ces années ?
 
Après lui avoir raconté ce que je devenais, plutôt brièvement parce que j'ai un bon sens de la synthèse (dans ce domaine) (je suis beaucoup plus diserte quand il s'agit de discuter des tendances printemps-été en matière de sacs à main), je lui ai demandé à mon tour : 
 
- Et toi, Oncle Wolfgang, tu es content de ta nouvelle installation à Limoges? 
 
C'est lorsqu'il a répondu à ma question que j'ai senti que les choses commençaient à déraper sérieusement et que la nature reprenait peu à peu ses droits comme une vieille bouteille en plastique remonte inévitablement à la surface d'une mare boueuse. 
 
- Eh bien tu sais, lorsque j'ai achevé ma carrière à l'Université, j'ai cherché un endroit de repli, et comme Catherine venait de demander le divorce, évidemment, je ne savais pas quelles ressources il me resterait à l'issue de la procédure. C'est pour ça que je suis allé m'installer à Limoges, ville où les loyers sont les moins chers de France.
 
Tout à coup, je me suis senti une énorme compassion pour Oncle Wolfgang... 
 
Ce n'est déjà pas facile de vivre en étant un gros pingre, mais être prêt à l'avouer, ça veut sans doute dire qu'on est carrément au bout du rouleau. 
 
Surtout lorsque l'on soutient que Limoges est la ville où les loyers sont les moins chers de France, alors que je suis prête à parier que dans le fin fond de la Creuse, on peut trouver des 9m2 très corrects sans pour autant avoir gagné à l'euromillion. 
 
Bref, en dépit de mon émotion, Oncle Wolfgang a poursuivi : 
 
- Tu n'es peut-être pas au courant mais j'ai d'ailleurs demandé l'annulation du mariage devant les autorités religieuses. 
 
- J'en ai eu quelques échos, effectivement... ai-je répondu, me remémorant les nombreuses discussions familiales qui avaient accompagné cette nouvelle improbable. 
 
- Oui, et je n'ai pas bien compris d'ailleurs, tes parents se refusent à témoigner dans le procès devant l'officialité... m'a-t-il lancé du ton d'un martyre supplicié faisant un effort surhumain pour rester digne malgré l'horreur de son calvaire, tout en guettant ma réaction du coin de l'oeil.
 
Là, j'aurais pu lui dire :
 
1) écoute Oncle Wolfgang, ton mariage a quand même durée une bonne trentaine d'années parmi lesquelles une vingtaine au cours desquelles toi et Tante Catherine n'avez pas arrêté de jouer aux tourtereaux transis en écrasant/exploitant autant que vous le pouviez à peu près toutes les personnes de votre entourage, alors s'il te plaît, le coup de l'annulation parce que votre consentement n'était pas libre lorsque vous avez décidé de mutualiser vos défauts à l'âge de 27 ans, ne me le fais pas à moi,
 
2) et surtout, Oncle Wolfgang, évite de me prendre à témoin des prétendues insuffisances de mes propres parents : tu ne le réalises peut-être pas, mais s'attaquer à des personnes proches de son interlocuteur, surtout lorsque c'est pour des motifs infondés, peut s'avérer contreproductif... Mais bon, c'est vrai, à ta décharge, tu as fait tellement le vide autour de toi que tu es sans doute incapable d'imaginer ce que cela peut signifier.
 
En dépit de leur pertinence, j'ai gardé pour moi ces réflexions.
 
Je ne lui ai pas fait le plaisir de répondre que Oui, vraiment, l'attitude de Papa et Maman était impardonnable, qu'ils étaient vraiment des monstres d'égoïsme, et que, dis donc, il allait falloir que je leur parle sérieusement pour qu'ils arrêtent de faire du mal à Oncle Wolfgang qui est si courageux, et qu'ils aillent illico témoigner devant l'officialité de ce que son mariage avec Tante Catherine c'était vraiment n'importnawak. 
 
Je me suis contentée d'un sourire évaporé et d'un mutisme absolu et j'ai trouvé un prétexte dans la seconde pour tourner casaque et disparaître définitivement du champ de nuisances d'Oncle Wolfgang.
 
Mais avec le recul, je ne peux m'empêcher d'être un peu triste... 
 
C'est vrai, s'il faut encore attendre douze ans avant de se revoir, j'ai peur qu'avec ce mode de communication, nous n'arrivions jamais à nouer des liens très étroits.
 
Et c'est dommage parce que j'avais tant de choses à lui dire à Oncle Wolfgang ! 
 
admas
A la grande loterie des oncles, certains ont plus de chance que d'autres...

10 commentaires:

  1. C'est chouette la famille. En général, moins je vois mes oncles et tantes, mieux je me porte. @ Alphonsine : si ça se trouve Oncle Wolfgang et Tante Ursule se connaissent... (j'ai aussi une Tante Claudine, même si c'est seulement par alliance ça compte !)

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  2. Le tonton gâteau on the top qu’est l’oncle Fester est bien sûr l’idéal inaccessible de chacun. Mais ton Wolfi à toi est déjà bien gratiné aux petits oignons. L'absurdité de ses demandes est réellement ébouriffante . Ah famille, comme on vous hais…me !

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  3. Je vois que les oncles et tantes ont le dos large ici ! Oncle Wolfgang, Tante Ursule & Co sont des sujets de choix ( et inépuisables) pour les blogueurs ! Reconnaissance éternelle.

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  4. C'est curieux, Albane a aussi une Tante Ursule... vous devez avoir une tante de la même tranche d'âge !

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  5. Drôle de loubard l'oncle Wolfgang...

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  6. Ça, c'est dur à entendre Ginger : "Et toi, Oncle Wolfgang, tu es content de ta nouvelle installation à Limoges ? Comme vacherie, c'est rosse, non ? Un jour, j'ai dit la même chose à un mec, mais pour Vierzon, et il m'a presque menacé de mort. Non, en fait, c'était Vesoul, alors il l'a mal pris.

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  7. Je sens poindre un certain agacement, pour ne pas dire du ressentiment, dans ton billet, ce que je comprends très bien, chère Ginger. Mais tout de même, Limoges... Le pauvre homme... PS : selon les plus grands spécialistes de Kafka (dont je ne fais heureusement pas partie), il s'agit d'un scarabée, non d'un cafard. Ma fonction m'oblige à corriger ;)

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  8. Non mais, Ta cousine Solange ... là tu me fais flipper ... y a d'autres gens qui s'appellent comme ça en vrai ???? Je veux fonder un club ( mais ça c'est une autre histoire) La vache, sur le coup j'ai commencé à chercher dans mes cousines laquelle tu pouvais bien être - ton oncle ressemble tellement au mien !!!! - et puis Solange quoi !

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  9. Oh !!! Ginger ? je ne savais pas que nous étions de la même famille ?... mais c'est normal, comme je suis bc plus vieille que toi et que je n'assiste plus aux réunions familiales car je suis une "grande" maintenant...

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  10. Il a complètement perdu les pédales, c'est vrai, ça doit être la-petite-robe-noire-effect ! (et sinon, oui, mieux vaut se mettre aux abris quand il y a un universitaire dans les parages, c'est ce que la vie m'a appris)

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