L'autre jour, je suis allée déjeuner chez mon brother.
Rien d'exceptionnel a priori.
Surtout pour les gens qui ont un frère.
Oui, mais là où les choses sortaient un peu de l'ordinaire, c'est que je me rendais pour la première fois dans son nouveau logement.
Et pas n'importe quel logement.
Pas un studio de 20m2, avec douche dans le frigidaire et wc sur le balcon.
Non, un vrai appartement de grand.
Du style 54m2 avec cuisine indépendante, chambre indépendante et sanitaires indépendants.
Autant dire qu'après avoir fait le tour du propriétaire (3 heures au bas mot), j'étais légèrement déboussolée moi qui ai l'habitude de surfaces un peu plus, dirons-nous, "à taille humaine"...
Heureusement, mon frère, à la hauteur de sa nouvelle installation, avait tout prévu.
Un peu d'air frais par la fenêtre ouverte, un fauteuil Empire confortable et un verre d'une excellente bière bretonne laissée là par un ami de passage, tout cela m'a très vite remise d'aplomb.
Au bout d'une demi heure, je crois que je peux même affirmer que j'avais quasi totalement récupéré mes esprits.
C'est à ce moment là que mon frère m'a abandonnée une seconde pour retourner jeter un coup d'oeil au risotto qu'il avait la gentillesse de préparer tout exprès pour moi (et aussi un peu pour lui, quand même).
- Vous noterez ici que le grand inconvénient de ne pas avoir sa cuisine au centre d'une unique pièce, calée entre un clic-clac et une table de chevet faisant office tout à la fois de plan de travail / table à manger / égouttoir / bureau / escabeau / plumeau, c'est que quand vous devez surveiller un plat, vous êtes obligé de suspendre la passionnante conversation que vous aviez avec votre hôte et de le laisser là en plan.
Avec le risque non négligeable qu'il se mette à fouiner dans vos affaires.
D'où l'intérêt de n'emménager dans un logement d'une telle surface qu'une fois que la vie vous a doté d'un (merveilleux ?) conjoint susceptible de poursuivre brillamment votre propre conversation quand les impératifs culinaires vous obligent à vous éclipser de surveiller vos invités pendant que vous avez le dos tourné. -
Bref, livrée à moi-même, après avoir compté le nombre de velibs disponibles à la station juste en bas de l'immeuble, avoir admiré la caisse à outils toute neuve qui trônait dans un coin du salon et avoir pris connaissance du détail des additifs contenus dans le saucisson au poivre vert de Madagascar que j'avais apporté pour l'apéritif, j'ai fini par arrêter mon regard sur le sous-verre de fortune qui m'avait été attribué.
Rien d'extraordinaire à première vue, juste un morceau de journal soigneusement découpé.
Mais comme j'étais vraiment désoeuvrée et surtout comme il n'y avait pas l'air d'avoir trop de texte dessus, je me suis lancée dans sa lecture.
Et c'est là que j'ai réalisé que trônait pile en face de moi l'inscription suivante :
"Théorie de la vilaine petite fille".
Je ne sais pas s'il y avait beaucoup de chances pour que mon frère tombe précisément sur ce passage lorsqu'il s'est lancé dans la confection maison de ce sous-verre, mais il a en tout cas fermement nié toute intention maligne quand, à son retour de la cuisine, je l'ai accueilli par un glacial :
"Alors comme ça, tu m'insultes gratuitement par sous-verre interposé, moi qui en plus viens de t'apporter un excellent saucisson au poivre vert de Madagascar bourré d'additifs ?!!"
Mais comme le risotto était délicieux et même pas empoisonné, j'ai dû me rendre à l'évidence : non, vraiment, tout ça n'était que pur hasard.
Ginger n'est pas une vilaine petite fille.
A moins, bien sûr, que derrière la main innocente qui s'était chargée de découper le morceau de journal, ce soit en réalité la Vie qui ait entendu m'appeler à une saine prise de conscience sur moi-même...