mardi 30 octobre 2012

J'ai eu une vie avant mon blog

 

Oui, c'est vrai. 

 

Je dirais même qu'il m'est arrivé pas mal de trucs avant la Gingertime

 

Mais comme c'était avant, je ne me sentais pas encore obligée d'en informer la Terre entière...

 

On aurait pu croire que tout ça resterait bien enfoui, enterré à jamais - un peu comme le passé du soldat inconnu dont il ne nous reste aujourd'hui plus que la flamme (alors qu'il tenait peut-être un blog, qui sait) (pas la flamme, le soldat inconnu). 

 

Mais en fait non, parce que, comme l'a démontré Hitchcock dans un très beau film du début de sa période anglaise à ne surtout jamais voir sauf si l'on est insomniaque ou que l'on cherche à se persuader que même si on fait des trucs nuls un jour ça ne veut pas dire qu'on en fera toujours, le passé ne meurt pas.

 

C'est vrai, il y a certaines histoires qui vous poursuivent en fourbe jusque dans votre futur pour vous claquer au visage une beau jour. 

 

Exemple concret : 

 

- 3 juin 2011 : vous laissez par mégarde mourir de faim le poisson rouge de votre amie Astrid, acheté sur les conseils de son psy comme dérivateur à sa dépression post-rupture sentimentale, poisson rouge dont elle vous a confié la garde le temps d'un déplacement professionnel à Metz.

Bien sûr, pour atténuer sa souffrance à son retour, vous lui racontez que vous l'avez découvert un beau matin, flottant sur le dos, alors que pourtant, non, je ne peux pas dire, il avait mangé normalement les jours précédents...

 

- 10 septembre 2012 : vous décidez de créer un blog pour étaler au grand jour toute l'insignifiance de votre vie (Aujourd'hui il y avait beaucoup de queue à mon Monoprix / Ca y est, on a fini toutes les bouteilles d'Evian au bureau / J'ai hâte d'être au week-end prochain parce que je vais pouvoir découvrir la nouvelle collection H&M),

 

- 12 octobre 2012 : au cours d'une soirée que vous avez organisée chez vous, votre amie So', pleine de bonnes intentions, se met en tête d'égayer cette fille-qui-n'a-vraiment-pas-l'air-jouasse-c'est-le-moins-qu'on-puisse-dire, en lui racontant l'épisode de la mort atroce que vous avez infligée à cet innocent poisson rouge qui ne demandait qu'à continuer à tourner en rond dans son bocal pendant des années encore. Pas de chance, cette fille, c'est Astrid

 

=> Eh bien si vous racontez dans votre blog comment votre soirée du 12 octobre 2012 a été plombée par la soudaine crise de démence d'Astrid, vous êtes obligé, auparavant, de faire le récit de cette bête histoire de poisson rouge du 3 septembre 2011.

 

Moi, dans ma vie d'avant, il y a notamment eu un 7 juin 2010

 

C'était un vendredi soir et Célia fêtait son emménagement dans son nouvel appartement. 

 

On ne se connaissait pas encore très bien à cette époque, depuis quelques séances de sport tout au plus, mais Célia m'avait apparemment trouvée suffisamment sympathique - peut-être parce que j'étais à peu près aussi nulle qu'elle en gymnastique suédoise - pour me faire signe à sa soirée de pendaison de crémaillère organisée sur le thème : 

 

Viens avec la tenue la plus improbable de ton placard (+ 1 bouteille de champagne parce que bon, quand même)

 

Célia m'avait expliqué que tous ses amis, ou plutôt toutes ses amies - avouons-le, c'était plutôt fait pour elle - étaient enchantées par cette idée, qu'elles avaient décidé, pour l'occasion, de sortir de leur penderie l'une une mini robe en strass, une autre une robe à franges style charleston, encore une autre une robe traditionnelle rapportée d'un voyage au Tibet... Bref, toujours des tenues inmettables !

 

Et ce thème, moi aussi, je dois dire qu'il me plaisait bien.

 

En faisant défiler mentalement ma penderie - comme toute fille bien née sait le faire - j'avais déjà en tête la robe vert émeraude à empiècement en dentelles, tout droit rescapée de la garde-robe seventies de Maman.

 

Bien sûr, j'étais excessivement fière de ma trouvaille parce que : 

1) la robe est très jolie,

2) elle me va très bien, 

3) elle est absolument inmettable - en tout cas en 2012, pour toute personne vivant un minimum en accord avec son temps,

4) j'étais sûre que personne n'aurait la même. 

 

Le soir dit, en sonnant à la porte de Célia, habillée à mi-chemin entre Laura Ingalls et Sissi l'impératrice (si vous voyez ce que je veux dire), je m'apprêtais à trouver toute une foule de froufrous, jabots, paillettes, volants, boas, pattes d'éléphants, chemises à fleurs...

 

Mais en fait - et vous l'avez déjà compris, perspicaces que vous êtes - pas du tout ! 

 

J'ai débarqué au beau milieu d'une multitude de petites robes noires du plus pur classicisme vestimentaire, parfois accessoirisées - pour les filles les plus audacieuses - d'un carré Hermès comportant vaguement une ou deux touches de couleur...

 

Mon amie Célia ne déparait pas elle-même dans cet univers uniformément sombre, avec une robe noire courte ayant pour seule particularité un décolleté plongeant dans le dos - le genre de décolleté certes délicat à mettre au travail / à l'enterrement de Tante Hortense / à la soirée vins et fromages de sa meilleure amie, mais pas d'une extravagance folle non plus pour une soirée un peu habillée...

 

En saluant tour à tour les personnes présentes - Enchantée, Ginger - j'avais à peu près la même impression que celle que j'ai eue la dernière fois que j'ai rêvé que j'arrivais à l'école en pyjama...

 

... comme un léger sentiment de malaise.

 

- Très jolie robe ! 

 

- Merci ! Bon, elle est où la cuisine que j'aille poser ma bouteille de champagne (et me cacher dans un coin en attendant que tout le monde soit parti) ? 

 

Vous comprendrez que je garde un souvenir un peu mêlé de cette soirée, même si, finalement je m'y suis à peu près amusée, mais toujours avec cette petite voix qui me soufflait Ginger, tu es sûre que tu n'es pas ridicule ?, Non mais Ginger, tu es sûre que tu n'es pas ridicule ?, Ginger, je me demande si tu n'es pas ridicule...

 

Depuis, j'ai tout fait pour essayer d'oublier.

 

D'abord, je n'en ai pas reparlé à Célia.

 

Ensuite, j'ai décidé de vivre comme si ça n'était jamais arrivé (pas de psychothérapie, de toutes façons ça coûte trop cher).     

 

Un certain jour de juin 2011, dans un moment de désoeuvrement ultime, j'ai même créé un blog.

 

Et puis, la semaine dernière, le 18 octobre 2012, Célia m'a fait signe pour une soirée chez elle avec quelques amis. 

 

Chouette, j'ai dit, j'apporte quoi Célia ? 

 

A 20h bien passées, après avoir pris toutes les mauvaises directions possibles et tourné en rond un bon quart d'heure dans son quartier (alors que j'avais un plan), je suis donc arrivée avec mon cake salé chez Célia qui m'a présenté les autres amis auxquels elle avait fait signe pour la soirée : Julie, EmmanuelFlore, Alex et Raphaëlle

 

Je me souvenais vaguement avoir déjà aperçu Flore, mais j'étais en revanche bien incapable de dire si j'avais déjà eu l'occasion de croiser un jour Julie, Raphaëlle, Emmanuel ou Alex.

 

Et pourtant, il s'est avéré qu'ils se souvenaient tous de moi. 

 

Et même plutôt très bien. 

 

Comme me l'a expliqué Célia :

 

Ce n'est pas compliqué, tous ceux qui étaient présents à ma pendaison de crémaillère se rappellent forcément de toi à cause de ta robe !

 

Ah oui, la pendaison de crémaillère... 

 

Mais bon sang, ai-je pensé, on ne peut pas laisser cette histoire de robe de côté un peu et essayer de l'oublier tous ensemble ?!

 

Pourtant, je n'ai rien dit.

 

J'ai même souri de mon plus charmant sourire en partant poser mon cake salé à la cuisine, histoire de ne pas risquer de passer pour la fille complètement névrosée dont on découvre, au bout de 2 ans, qu'elle ne s'est toujours pas remise d'une bête soirée de pendaison de crémaillère à thème tout ça à cause d'une insignifiante histoire de robe vert émeraude à empiècement en dentelles....

 

Dans la cuisine, je me suis même raisonnée en me disant qu'après tout, c'était ma vie d'avant Ginger et que, comme ce soir-là j'étais en petite robe noire, visiblement en plein dans le dress code, je pouvais m'abandonner à faire table rase du passé - et de mes névroses - au moins le temps de la soirée...

 

... mais bon, quand même pas le temps de mon blog, il ne faut pas trop m'en demander non plus

 

robe-noir-copie-1.jpeg

 

 

6 commentaires:

  1. Enorme moment de solitude, je compatis...

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  2. C'est là qu'on s'aperçoit que finalement personne n'ose ! ça m'est arrivé plus d'une fois, du coup tout le monde se souvient de moi. Et dans la mesure où je me suis bien marrée (y compris en voyant les têtes effarées), c'est plutôt tout bénef ! La vie est trop courte pour être en robe noire tout le temps, c'est trop triste.

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  3. Je note qu'il existe une certaine continuité dans les prénoms de ton entourage. Après Ingrid, voilà Astrid. Next : Siegrid ? La création d'un blog est-elle la conséquence d'un traumatisme ? Peut-être. Dans mon cas, ce fut la fin d'une relation conflictuelle avec une chef tyrannique (mais tyrannique bas de gamme) qui donna naissance à mon blog précédent, en libérant ma parole.

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  4. Pas toujours facile de gérer la célébrité (je connais ça moi aussi).

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  5. J'aime beaucoup le livre "13 à la douzaine" d'Ernestine Gilbreth. Son père entrait sans crier gare dans classes de ses enfants et faisait le clown. Tous les enfants l'adoraient sauf les siens qui mourraient de honte. A cela il a expliqué "Si tu te sens ridicule, tout le monde te trouvera ridicule. Si tu es à l'aise, tout le monde rira". Tout est dans la contenance !

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